Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? Philip K. Dick (1966)

L’auteur

Philip Kindred Dick entame sa carrière d’écrivain en 1952, après être passé d’un boulot à un autre. Il publie un premier roman Loterie solaire en 1955. C’est la parution du Maître du haut château, en 1962, qui le révèlera. En effet, le roman obtient le prix Hugo et Philip K Dick devient un écrivain respecté, avec un style particulier : une science-fiction à dimension politique, où la réalité est manipulée. En 1966, Ubik est considéré comme son chef d’oeuvre.

Au cours des années 70, il sombre dans la dépression et la drogue, tente de se suicider. Au début de l’année 1982, il est victime d’un accident vasculaire cérébral, qui sera suivi d’une crise cardiaque fatale; quelques jours avant la sortie en salles du film Blade Runner, adaptation de « Do Androïds dream of electric ships ? »

Le livre

Les hommes ont majoritairement émigré d’une Terre polluée par des éléments radioactifs et impropre à toute forme de vie, y compris animale et végétale. Seuls les « spéciaux » (victimes de la poussière radioactive, généralement déficients mentalement) qui n’ont pas eu le droit à l’émigration, et quelques autres, sont restés sur place. En particulier les Blade Runner (intraduisible) qui pourchassent les robots échappés des colonies spatiales et qui se sont réfugiés sur Terre. La dernière version de ces robots, les Nexus 6 sont particulièrement dangereux car très semblables aux hommes. Seule l’empathie envers toute autre forme de vie peut alors distinguer un humain d’un robot. Le roman s’ouvre sur la chasse de 6 Nexus 6 par le blade runner Rick Deckard.

Mon avis

Peu après avoir vu le film Blade Runner, j’ai eu la curiosité de chercher la nouvelle originelle de P. K. Dick. J’avais d’abord commencé à la lire en anglais, mais la science-fiction est toujours un genre délicat dans une langue étrangère … (en bref je ne comprenais rien à ce monde bizarre ..) Par exemple, impossible de comprendre ce qu’était un orgue à empathie : « Devant sa console à elle, il composa un 594 : soumission reconnaissante à la sagesse supérieure de l’époux dans tous les domaines. » ..

J’ai donc dû renoncer et me le suis procuré en français (et j’ai bien ri quand j’ai enfin compris les implications de l’orgue à empathie, et les exemples qu’il donne !) Et je me suis rapidement rendue compte qu’encore une fois, le film était très éloigné de l’œuvre originale.

Certes le personnage est le même et il chasse des robots. Mais le réalisateur a élagué toute la partie réflexive sur l’empathie et sur le rapport aux animaux des derniers humains sur Terre : se procurer un animal vivant coûte une fortune (et c’est une preuve de réussite sociale), la plupart du temps, ils ne peuvent donc se payer que des imitations électriques, ce qu’il s’agit de cacher à son voisin. C’est la raison d’être du titre de la nouvelle, qui a été totalement modifiée pour le film, et raccourcie en « Blade Runner« .

C’est un roman assez complexe, comme tous ceux de P. K. Dick, et qui aborde des thèmes variés mais qui interrogent tous la notion de nature humaine, et de ce qui nous différencie d’un robot ou d’un animal. A mon avis, il appelle à une deuxième lecture pour appréhender les différentes subtilités qui le traversent.

Ce qui m’a frappé, c’est que c’est un monde extrêmement différent de celui qu’on connaît, doté de mécanismes radicalement modifiés. Et pourtant j’ai réussi à m’identifier au personnage, par ma capacité à comprendre cette question d’empathie et de relation aux animaux (qui symbolisent une quête de la vie, alors que tout le reste est mort sur Terre). Dans cette humanité égarée qui cherche un sens, dans la télévision, la boîte à empathie ou le mercerisme (une expérience collective où tous ceux qui sont accrochés à leur boîte à empathie vont vivre avec un personnage, Mercer, qui fait une sorte de chemin de croix.) A côté de ces humains, les androïdes, qui n’ont pas cette capacité ni ce besoin empathique, et son corollaire : la volonté de survivre. En effet, quand un robot est pris, il cesse de lutter. Alors que l’homme est incapable d’accepter son destin, refuse la mort, a peur. Ce dont un androïde n’est pas capable, par un pragmatisme à l’épreuve de toute faiblesse.

« Pour Rick Deckard, un robot humanoïde en fuite, un robot qui avait tué son maître, qui possédait une intelligence plus vaste que celle de bien des êtres humains, mais qui ne respectait pas les animaux et se trouvait dénué de la faculté empathique qui lui eût permis de se réjouir des succès et de pleurer les défaites d’une autre forme de vie que la sienne, pour Rick Deckard, un tel être était le parangon du tueur. »

Car « La faculté empathique ne pouvait appartenir qu’à un animal social. [..] De toute évidence, le robot humanoïde était un prédateur solitaire. »

Cependant, P.K. Dick refuse la facilité de laisser croire que les androïdes et les hommes sont si radicalement opposés, et il laisse planer le doute : à certains moments, les androïdes Nexus 6, les plus développés, montrent qu’ils ont peur de se faire capturer et mis hors service. La perfection de la création technologique tendrait-elle finalement vers de « l’imperfection » ?

Comme vous le voyez, il est difficile de rendre compte d’un tel roman. Mais contrairement à d’autres œuvres, j’ai réussi à réfléchir sur ses thèmes sans dévoiler l’histoire … Vous pouvez donc réfléchir aussi sur tout ça, et vous précipiter sur le livre ! (évitez de voir le film avant, ça ne vous donnera pas envie …)

Incursions et d’autres réflexions …

« Quel sale boulot je fais ! se dit [Rick]. Je suis un fléau, comme la peste ou les famines. Fléau de Dieu à la petite semaine. Comme l’a dit Mercer, il faut que je fasse le mal, j’y suis tenu. Depuis le début, je n’ai pas cessé de faire le mal. C’est pas tout ça, mais il est temps que je rentre chez moi. Peut-être qu’après avoir passé quelque temps chez moi, en compagnie de ma femme, j’oublierai tout ça… »

**

« Debout devant son récepteur de télé inerte, il eut soudain le sentiment que le silence était visible et aussi, mais à sa manière, vivant. Vivant ! Ce n’était pas la première fois, loin de là, qu’il ressentait cette autre approche. Le silence entait alors avec effraction, avec violence, sans aucune subtilité, incapable, à l’évidence, de la moindre patience. Le silence du monde ne pouvait plus retenir sa soif de tout engloutir. Plus maintenant. Maintenant qu’il avait presque partie gagnée. »

**

« La bistouille, c’est tous les objets qui ne servent à rien, les fouillis, les trucs inutiles, le courrier publicitaire, les boîtes d’allumettes vides, les papiers de chewing-gum et les journaux de la veille. Quand il n’y a personne, la bistouille se reproduit. Tenez, si vous allez vous coucher en laissant de la bistouille traîner chez vous, le lendemain matin, vous en trouvez le double. Ça n’arrête pas de croître. »

***

4/10 !

11 commentaires

  1. Une œuvre très fine, effectivement sans rapport avec le film, ce dernier ayant réinventé la psychologie des androïdes, à la fois surhumain et enfants égarés, en quête de la figure du Père, allégorie de Dieu, contre lequel ils se révoltent à cause de la brièveté de leur existence.

    Rien de tout ça ici, l’auteur joue avec la perception du bien et du mal de son propre lecteur, les états d’âmes et les doutes du héros nous imprègnent. La question de l’identité, de l’humanité, du sens de l’existence et du bien et du mal sont traités avec originalité. Miss B à déjà dit beaucoup de choses, alors le mieux qu’il vous reste à faire c’est de le lire pour vous faire votre propre avis!

  2. Mais dis donc, tu n’aurais pas oublié de me laisser ton lien ? En tous cas, je n’ai pas fait figurer ce billet dans le bilan du challenge dystopique. Je l’ajoute donc. Et je suis bien contente d’apprendre que le roman ne ressemble pas au film, parce que je n’avais rien compris et m’étais endormie devant Balde Runner !

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