Washington Square / Henri James (1880)

A Washington Square, le docteur Austin vit avec sa fille unique, Catherine dont la mère est morte en couche, et une sœur vieille fille, avide de commérages et d’actes romantiques. Intelligent, curieux et sensible, le docteur porte un regard désabusé sur les deux femmes avec lesquelles il partage sa vie. Sans aucune illusion sur les capacités intellectuelles de sa fille, malgré ses efforts pour l’éduquer et lui inculquer quelques notions, il doit bientôt se rendre à l’évidence : sa fille n’est ni intelligente, ni belle : « Catherine n’est pas immariable mais elle n’a aucune séduction ». Mais elle a un avantage considérable lorsque l’on songe aux mariages de l’époque : elle est riche.

Quelques temps après ses vingt ans, Catherine rencontre Morris, qui semble tomber fou amoureux d’elle. Ici encore, le docteur ne se fait aucune illusion : il est persuadé que Morris ne peut courtiser Catherine que pour sa fortune. Aussi va t-il tendre tous ses efforts pour séparer les deux amoureux, malgré le soutien que leur apporte la vieille tante.

Finalement, ils se voient sans son accord, Catherine ayant passé l’âge d’obéir à son père (mais il la menace de la déshériter). Au final, ils parviennent à un point de non-retour et de non-communication. « Catherine ne parlait pas à son père de ces visites, rapidement devenue la part la plus importante, la plus absorbante de sa vie. La jeune fille était heureuse. »

Le roman est donc organisé autour de quatre figures :

  • Le père, les pieds sur terre, à l’ironie mordante, dont j’appréciais l’intelligence mordante. Il veut le bonheur de sa fille, malheureusement il s’y prend très mal et s’aliène son amitié et perd toute autorité, tout en conservant un certain respect. Mais il n’a lui-même aucun respect pour elle, il la méprise malgré un amour paternel, et n’a pas vraiment cure de ses sentiments. On le décrit comme quelqu’un qui ne veut pas « faire de l’argent avant tout mais d’apprendre et agir. »
  • Face à lui, la figure de Morrisest celle de l’aventurier, qui paraît brillant mais n’est intéressé que par l’argent pour ne pas avoir à travailler. Lorsque le docteur va rendre visite à la sœur de Morris, pour en savoir plus sur celui qui veut devenir son gendre, il le résume en quelques mots :« Le type auquel appartient votre frère a été créé pour votre plus grand malheur et vous-mêmes avez été mises au monde pour être ses servantes et ses victimes. Le signe distinctif de ce type est la détermination – parfois terrible dans sa tranquille intensité – d’accepter de la vie ses seuls plaisirs et de se les assurer le plus souvent grâce à l’aide de vos complaisantes sœurs. »

    Finalement, alors qu’il est la figure centrale du roman, c’est peut-être celle qui est la moins développée par Henri James.

  • En regard de Morris, enfin, il y a Catherine. La pauvre Catherine, bringuebalée entre le jeune homme qui lui a fait perdre la tête, alors qu’elle est pourtant très rationnelle, et son père au cynisme aiguisé. Deux hommes qui déterminent son monde, qui se la déchirent et qui pourtant la méprise : « Savez-vous que je vous trouve parfois décevante ?– ça ne m’étonne pas. Je déçois tout le monde : mon père, tante Penniman ». Cette lucidité m’a fait mal au cœur, car elle résume tout son mal-être : l’incompréhension de ses parents, son propre dilemme. « Son dilemne est doublement cruel. Comment pourrait-elle choisir entre son amoureux et toi ? »

    Elle est déchirée, et et sa nature rationelle finira par lui faire choisir la voie où elle sera le plus tranquille, avec le moins de passion.

  • Enfin, l’agent catalyseur de ce drame est la tante Penniman. Vieille folle aigrie et détestablement romantique, c’est elle qui permettra le rapprochement de Catherine et de Morris, sans se rendre compte qu’il n’est qu’un escroc. Sans amour dans sa vie, elle n’a rien trouvé de mieux que d’en imaginer chez les autres, ce qui provoquera la perte de Catherine, et le malheur de plusieurs vies.

C’est un roman remarquable que ce premier texte que je découvre par Henri James. L’intrigue tient sur rien mais nous maintient en haleine durant 250 pages, des pages de huis clos, qui tournent autour de ces seuls personnages. Des personnages qui finissent leur vie tranquillement, sans que jamais soit réglé la question de ce mariage raté, qui hantera leur vie à tous les trois.

« [Le docteur] aurait donné cher pour découvrir l’exacte vérité; mais ne jamais savoir fut sa punition : je parle de la punition encourue pour avoir perverti, à force de sarcasmes; ses relations avec sa fille. ».

Ce roman est finalement moins une histoire d’amour ratée que celle de relations houleuses entre une fille, obéissante et pleine de qualités, et un père prompt au cynisme, au jugement et à la dépréciation de sa descendante. Les tensions ressurgissent, et ne se règleront finalement que dans le silence …

7 commentaires

  1. Coucou! Je viens juste de terminer ce roman et vient de le chroniquer. Je suis d’accord avec toi sur Catherine, bien que mon avis soit resté mitigé. Je lui préfère Edith Warthon.

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