Les villes de la plaine / Diane Meur

L’auteur

Née à Bruxelles en 1970, Diane Meur publie son premier roman en 2002, La Vie de Mardochée de Löwenfels écrite par lui-même, puis en 2003 paraît Raptus.
Son troisième roman, Les Vivants et les Ombres, paru à la rentrée littéraire 2007, a été récompensé par le PRIX DU ROMAN HISTORIQUE LES RENDEZ-VOUS DE L’HISTOIRE – BLOIS 2008.

Parallèlement à son activité de romancière, elle est traductrice, notamment de Paul Nizon (son journal ainsi que La Fourrure de la truite, Actes Sud, 2006) et de Tariq Ali (Un sultan à Palerme et Le Livre de Saladin, Sabine Wespieser éditeur, 2007).

Les Villes de la plaine a été publié en août 2011, chez Sabine Wespieser Editeur, comme ses romans précédents.

Le livre

Dans une civilisation antique imaginaire, mais qui éveille en nous un curieux sentiment de familiarité, le scribe Asral se voit chargé de produire une copie neuve des lois. Grâce aux questions naïves de son garde Ordjéneb, il s’avise bientôt que la langue sacrée qu’il transcrit est vieillie et que la vraie fidélité à l’esprit du texte consisterait à le reformuler, afin qu’il soit à nouveau compris tel qu’il avait été pensé quatre ou cinq siècles plus tôt.

Ce que j’en ai pensé

Comme d’habitude avec des livres publiés chez Sabine Wespieser, je suis toujours grandement surprise, dès les premières pages ! L’histoire n’est jamais centrale dans ces textes, mais il s’agit plutôt d’une ambiance, d’une philosophie reposantes, loin des romans contemporains pleins de bruits et de fureurs. C’est la raison pour laquelle ces romans ne seront jamais des best-sellers mais appréciés de-ci de-là par quelques lecteurs attentifs, qui recherchent une langue recherchée et un style construit.

Je suis heureuse de découvrir ici encore un bon roman français. De cet auteur, j’avais déjà beaucoup apprécié Les Vivants et les Ombres, quoique très spécial puisque c’était le récit d’une histoire de famille … racontée par la maison familiale ! Un roman très sombre mais dont l’originalité m’avait charmée.

Avec Les Villes de la Plaine, Diane Meur a encore réussi son pari avec moi. Au départ un peu dubitative par l’histoire de ce scribe, Asral, qui recopie les textes sacrés de la ville de Sir, je me suis rapidement laissée transportée au cœur de cette ville antique imaginaire, en particulier grâce au second personnage, Ordjéneb, qui joue le rôle de catalyseur. Enfin, le troisième personnage est bien sûr la ville elle-même, Sir, et son double décadent Hénab. Sir, les habitants, et leur dieu, Anouher.

Comme chaque année, Asral va donc devoir recopier les « tables de la loi » d’Anouher. Mais rapidement, il commence à se poser des questions, à remettre en doute la figure d’Anouher, là tenter de la comprendre, elle et son histoire, qui sont inextricablement liée à l’histoire de la ville. Ce questionnement est en relation avec le sentiment de perdition, de décadence de la ville de Sir que ressent Asral : « Retourne, peuple de Sir, reviens à toi avant qu’il ne soit trop tard ! Mais celui qui tiendrait cette harangue devant le haut palais, les gardes l’éloigneraient comme un énergumène. » Cette dernière phrase n’est pourtant pas d’Asral mais d’Ordjéneb, le montagnard, qui va offrir le recul nécessaire au premier pour amorcer ces questionnements.

Petit à petit, Asral avance dans ses réflexions, et conclut :

« Tout ce que décident les juges se fait au nom d’un Anouher qui n’a plus guère à voir avec le vrai. Dont la parole a été sanctifiée, mais en même temps trahie, détournée de sa lettre. Un Anouher dont la véritable nature a été occultée par une dévotion aveugle, et par l’escamotage de documents gênants. »

Mais une fois qu’il a mené sa réflexion à terme, à l’écart de son peuple, il s’agit de revenir vers lui, de lui offrir le savoir pour lui permettre d’évoluer : « Et maintenant, pensa Asral en jetant à la ville un dernier regard plein d’attentes et d’une certaine appréhension – maintenant il va falloir qu’il leur explique tout ça. » Ce sera le plus dur.

En conclusion :

« Mais Sir, où est donc Sir ? Nulle trace de ses remparts, nulle trace de son orgueilleux saillant sur la plaine subjuguée, rien. Car la ligne inchangée des crêtes environnantes finit par nous le faire admettre : Sir est là, sous nos pieds. » Par une extraordinaire avancée dans le temps, Diane Meur nous a en effet transporté de temps en temps au XIXe siècle, alors que des fouilles sont effectuées dans la région. Et l’on comprend vite que Sir n’existe plus … Incapable de se remettre en question, en refusant d’écouter Asral, le réformateur; en oubliant de réfléchir à ses origines, Sir s’est perdue elle-même.

C’est donc un roman hors normes que nous offre Diane Meur, un de ces romans où l’on ne peut pas dire : j’aurais pu l’écrire. S’il n’est pas facile d’accès, il me semble qu’il nous donne l’occasion de parcourir un véritable chemin philosophique, de nous interroger sur nos croyances, nos valeurs; et il nous donne envie de revenir à la source des textes, de ces croyances. Il nous montre qu’il faut sans arrêt se poser des questions, se remettre en cause, ne pas rester sur nos acquis, car l’on risque de se perdre et de s’éloigner de ce qui nous est le plus précieux …

De quoi réfléchir grâce à ce roman qui sonne tellement juste …

2 commentaires

  1. Je le note car l’ambiance, le contexte me plaisent. J’aime bien lire des choses différentes et celui-ci me paraît assez original. Et effectivement, je fais confiance à la maison d’êdition qui ne m’a jamais dêçue

  2. L’article donne envie de lire le livre!
    Toutefois petite réflexion en a priori garni de préjugés innocents : y a-t-il un parallèle à établir avec une grande religion dont le texte sacré ne peut être lu par le véritable fidèle que dans la langue de sa révélation ? La critique appelant à une nécessaire réappropriation des textes fondant les communautés par les générations, écarte-t-elle les écueils inverses liés aux interprétations successives?

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