« Quoi qu’il en soit, pour être honnête […], je vais vous raconter la vérité jusqu’au bout, tout au moins telle que je la connais et telle que mes oncles me l’ont relatée : nous avons, nous aussi, magouillé un peu. «
C’est ainsi que commence l’histoire des Peruzzi, à l’heure de leur gloire c’est-à-dire sous Mussolini, des années 1920 aux années 1940. Des années que le narrateur n’a pas connues mais dont il a entendu maintes fois le récit de la bouche même de ses oncles. Canal Mussolini a reçu le plus prestigieux des prix italiens, le prix Strega en 2010, récompensant un auteur atypique, lui-même fils de colons ayant émigrés pour mettre en valeur les Marais pontins, qui avaient une sinistre réputation due aux nombreuses bestioles mortelles qui y traînaient. Venue du Nord, la famille de Pennacchi – tout comme celle des Peruzzi – fait partie de la main d’œuvre (30 000 personnes !) envoyée pour les assécher (700 km2 de bourbier !), et les faire prospérer. Contre l’avis de Mussolini, on y construisit même des villes comme Latina et Sabaudia.
Pour y parvenir, le Duce décide d’y faire passer un canal : « C’est le Canal Mussolini qui donne naissance à l’agro-pontin ». Il faudra 8 ans pour y parvenir. C’est donc autour de cette grande aventure que s’articule l’histoire de la famille Peruzzi, étroitement liée au mouvement fasciste.
Une histoire extraordinaire racontée à la manière d’une épopée, saupoudrée d’un humour qui nous fait oublier que ce sont les heures les plus sombres de l’Italie qui nous sont narrées ici … Et cela fonctionne grâce au pacte passé d’emblée avec le lecteur : « vous devez me croire, sinon mieux vaut laisser tomber. Je n’invente rien. Je peux tout au plus m’embrouiller dans mes souvenirs ».
Il faut donc croire ce narrateur plus que partial et le laisser nous guider dans les méandres politiques, économiques et sociaux de l’Italie de l’entre-deux-guerres. Même si on ne connaît rien à cette période, tout semble devenir clair et limpide après ces quelques 500 pages : on ne peut que vivre ce roman dans une complète immersion, auprès de cette tribu (17 frères et soeurs, étroitement liés) forte en gueule et en couleurs, mais attachante malgré tout. Pour les Peruzzi comme pour les autres, Mussolini est celui qui a promis la redistribution des terres, les faisant passer du rouge marxiste au brun fasciste, dans la lutte éternelle des pauvres contre les riches.
Dans un style original – très oral, peuplé de termes paysans, d’interjections au lecteur – Antonio Pennucchi nous livre sa version de l’histoire du fascisme (d’où débats forts en Italie au moment de sa publication), qu’il nous revient de ramener à sa juste mesure et de nous rappeler ses dérives (ce qu’il reconnaît lui-même à plusieurs reprises : «Mettez-vous bien dans le crâne que nous ne parlons pas de gens honnêtes.»)
Un roman passionnant, qui décape à chaque page, déstabilisant le lecteur qui ne sait plus quoi penser. Il fallait certainement un vrai talent de conteur pour faire passer cette pilule et en faire un vrai bon roman historique remarquablement construit (et très bien traduit en français, soit dit en passant, par Nathalie Bauer), à découvrir absolument.
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Prix des Lecteurs
Je ne connais absolument pas ce roman, cet auteur, ou le prix italien… Jamais entendu parler, mais ce que tu en dis, bon sang, ça donne envie de s’y jeter dedans ! Je note !
il faut s’accrocher mais c’est un roman qui vaut le coup !
Je l’ai lu et j’ai adoré !! Antonio pennacchi sait vraiment conter les histoires. On accepte les petits défaut de la narration face a tant de bons sentiments. Fasciocomuniste, son autre livre a même été adapté au cinéma.
j’y jetterai un coup d’oeil alors, merci ! 🙂
Je n’ai pas du tout accroché… J’ai même laissé tomber au bout de 200 pages le style ne passait pas. Dommage le sujet me tentait beaucoup à l’origine !
ça ne m’étonne pas, c’est vraiment un livre ardu, mais je me suis laissée emporter !
J’ai également adoré ce livre que j’ai eu l’occasion de lire en VO. Je trouve que c’est un mini chef d’oeuvre, c’est bien construit, intelligent, etc.
pas mal de le lire en VO, ça doit pas être facile ! 🙂
Effectivement, mais étonnamment le problème c’était pas le dialecte, mais plutôt le vocabulaire agricole…
aie oui j’imagine ! En tout cas moi je tire mon chapeau à la traductrice car pour le coup, le dialecte est pas facile à rendre dans une autre langue …
Ah ! Un livre que je vais lire dans le cadre du challenge « in Italiano ». Les Marais Pontins c’est chez moi alors ça m’attire forcément 🙂 J’espère justement y retrouver le dialecte propre à cette région !
Tu vas te faire plaisir alors ! Et puis tu reviendras me dire si la traduction est bonne !