Le quatrième mur / Sorj Chalandon (2013)

quatrième

Georges est un militant : défenseur des opprimés, il est de toutes les causes, tout comme sa femme Aurore. Celle des Palestiniens par exemple. Jusqu’à ce qu’il rencontre le Grec Samuel, metteur en scène comme lui, qui, au fil des ans, va devenir comme un frère. En 1982, ce dernier est mourant et demande à Georges de continuer son dernier projet : monter Antigone de Anouilh dans Beyrouth en guerre.

« Depuis toujours, Sam voulait monter la pièce noire d’Anouilh dans une zone de guerre. Offrir un rôle à chacun des belligérants. Faire la paix entre cour et jardin. » […] Pourquoi Antigone ? Parce qu’il y ait question de terre et de fierté. »

Georges se retrouve alors plongé dans la guerre civile du Liban, qui dura de 1975 à 1990 et fit entre 130 000 et 250 000 victimes. Je vais essayer de vous en dire quelques mots pour que vous compreniez la complexité du projet utopique de ce personnage.

La guerre du Liban est due, en partie, à la montée des tensions dans un pays multiconfessionnel et fragile, qui a accepté l’installation de camps palestiniens lors de la création d’Israël de 1948. D’autant que ces derniers deviennent rapidement des bases arrières pour des attentats suicides contre le pays juif. Le massacre de Damour, commit par des Palestiniens contre des chrétiens, complique encore la situation. Le Liban s’est donc retrouvé au cœur des tensions du monde arabe, alors que sa propre démocratie était elle-même en péril. En 1982, année où Georges se rend au Liban pour monter la pièce, Israël se décide à intervenir. Cela se conclut par un massacre généralisé dans les camps : entre 700 et 3500 morts, dont des femmes et des enfants.

L’Histoire devient le moteur essentiel de l’histoire de Sorj Chalandon puisque au-delà du projet théâtral, c’est la vie entière de Georges qui est remise en jeu : ayant assisté à des massacres, il ne parvient pas à se réadapter à la vie « normale » …

Et le théâtre dans tout ça ? et bien « Le théâtre était un répit. », une manière d’échapper à la guerre pendant une heure grâce aux quatre murs …

« Le quatrième mur, c’est ce qui empêche le comédien de baiser avec le public. […] Une façade imaginaire, que les acteurs construisent en bord de scène pour renforcer l’illusion. Une muraille qui protège leur personnage. » Un quatrième mur qui ne protégera personne cette fois-ci … 

Et pourquoi Antigone ? Parce que cette jeune fille est le modèle du rebelle, de la résistance à la fatalité. La révolte de la pureté contre les mensonges des hommes , de l’âme contre la vie.

« Qu’est-ce que vous voulez que cela me fasse, à moi, votre politique, votre nécessité, vos pauvres histoires ? Moi, je peux encore dire « non » encore à tout ce que je n’aime pas et je suis seule juge. »

L’Antigone de Anouilh est la pièce où la mort triomphe de presque tous, comme dans le roman de Chalandon : chaque personnage, chaque acteur subit la loi de l’Histoire, tout comme Antigone, et affronte un destin tragique, non plus dans le contexte de la Seconde guerre mondiale, mais de la guerre du Liban. Une autre guerre, un autre front, mais toujours les mêmes hommes qui souffrent et meurent …

Ce roman est plus complexe qu’il n’y paraît : une fois que j’avais débroussaillé le contexte historique, il fallait encaisser l’atmosphère pesante d’une zone de guerre, oublier le confort de notre monde ultra-sécurisé et imaginer que des événements d’une telle violence sont encore courantes dans certains endroits du monde. Mais c’est aussi un roman sur un homme, un utopiste qui, avec ses maigres moyens et le temps d’une pièce de théâtre, tente d’offrir un peu de répit et de compréhension entre les belligérants. Et l’on a presque cru qu’il allait y arriver …

Et puis c’est aussi la question de savoir comment vivre avec ces images. Comme Georges, comment supporter les caprices de son enfant pour une glace alors qu’il a porté dans ses bras une fillette au bras arraché par une bombe et qui ne pleurait pas ? Comment supporter les manifestations dérisoires de son groupe qui n’a jamais vu les atrocités en vrai ? Comment vivre, tout simplement ? Je ne vous dévoilerai pas cette réponse …

En bref c’est un roman extrêmement puissant, violent et dérangeant, qui n’épargne pas le lecteur. Et on en sort différent.

Je vous laisse sur les mots d’Antigone. « Comprendre ; toujours comprendre. Moi, je ne veux pas comprendre. C’est bon pour les hommes de croire aux idées et de mourir pour elles.

« Et voilà. Sans la petite Antigone, c’est vrai, ils auraient tous été bien tranquilles. Mais maintenant, c’est fini. Ils sont tout de même tranquilles. Tous ceux qui avaient à mourir sont morts. Ceux qui croyaient une chose, et puis ceux qui croyaient le contraire même ceux qui ne croyaient rien et qui se sont trouvés pris dans l’histoire sans y rien comprendre. Morts pareils, tous, bien raides, bien inutiles, bien pourris. Et ceux qui vivent encore vont commencer tout doucement à les oublier et à confondre leurs noms. C’est fini. »

7 commentaires

  1. Des lacunes sur la guerre du Liban quand même… Notamment sur le rôle des Israéliens, dont le lien avec les massacres est indirect et non une causalité directe.
    Mais j’ai très envie de lire le livre !

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