Le monde infernal de Branwell Brontë / Daphné du Maurier (1960)

Lu pour le petit club de lecture que nous organisons mensuellement avec George et Lili Galipette, je remercie plus particulièrement cette dernière de nous l’avoir proposé car je ne l’aurais jamais lu de moi-même (au-delà du fait que je ne connaissais pas son existence le mois dernier !). C’est l’occasion de réitérer mon enthousiasme pour ce genre de club et de lectures partagées, toujours riches d’échanges et de découvertes ..  Oui la lecture peut être un plaisir collectif !

Bref, j’en reviens à ce cher Branwell, frère des célèbres sœurs Brontë, enfant chéri de son père (plus stimulé, plus instruit que ses sœurs), à l’intelligence vive et à l’imagination prolifique. Toutes les portes lui semblaient ouvertes. Mais quand il meurt à 31 ans, on l’a oublié. C’est cet oubli que Daphné du Maurier a voulu combler en complétant, d’une manière romanesque, la biographie des sœurs Brontë écrite cent ans plus tôt par Elizabeth Gaskell. Histoire de rendre hommage à cet homme qui fut en partie à l’origine des vocations littéraires de ses sœurs.

En effet, dès leur enfance, les quatre Brontë sont très liés, surtout après la mort de leurs deux sœurs aînées, dans un pensionnat glacial. Ils se serrent les coudes, Branwell avec Charlotte, Emily avec la petite Anne. Ils inventent un monde infernal, totalement imaginaire mais extraordinairement bien construit, avec un pays inventé, des aventures, des personnages hauts en couleur. Des personnages que l’on retrouvera dans les romans de Charlotte et d’Emily … « et de quelles couleurs plus vives que les siennes il peignait les scènes de son monde infernal ! »

Mais le risque pour ces enfants étaient d’arriver à passer de la fiction à la réalité. Et quand Branwell approche de sa vingtième année, le choc est rude : il n’a écrit que des poèmes rejetés par les journaux, il a été refusé à l’Académie Royale des arts, il est incapable de finir ses textes. Non encadré (à la santé fragile, son père n’a jamais voulu l’envoyer au collège), il ne se prend pas en main.  C’est un échec, qu’il va noyer dans l’alcool et le laudanum. « Frustration à l’idée qu’à vingt ans il était incapable de gagner sa vie; que cette éducation reçue à la maison, et dont son père se montrait si fier, ne l’avait préparé à rien. »

Ses rêves, il continue à les verser dans son grand roman épique, à travers le personnage d’Alexander Percy qui est tout ce qu’il a toujours voulu être … « Percy, son mauvais génie, l’habitait maintenant tout entier, lui enlevant tout empire sur lui-même, ne laissant plus que l’enveloppe d’un Branwell vidé de tout jugement et moralement épuisé. » Il a besoin d’une vie active mais sans argent, il est condamné à déperir au presbytère familial.

La figure du père est importante tout au long du texte : « Branwell, enfant, était l’orgueil et l’espoir de son père et de ses sœurs, mais lorsqu’il fut adulte, il n’en fut plus de même. » Et plus loin : « il avait déçu un père qui l’adorait; déçu une sœur qui avait la plus chère compagne de son enfance: c’était leurs reproches muets, leurs soupirs étouffés qui faisaient le plus souffrir sa conscience. ». Il est déjà dur de ne pas être à la hauteur de ses propres ambitions, mais décevoir son entourage est encore pire pour un être aussi sensible que Branwell …

Et le coup final qui est porté avec le succès de ses sœurs et surtout de Charlotte, dont il était la plus proche, qui devient mondialement connue. En 1845, quand leurs premières publications paraissent, on assiste aux sont derniers éclats du talent de Branwell. Le manque d’argent, la dépression, les crises d’angoisse, l’épilepsie achèveront le travail de destruction de cet homme fragile. Le monde lui a refusé une place qu’il n’a pas eu la force de prendre. « Le laudanum (avec ses 10% d’opium) représentait une libération. »

C’est donc une entreprise très intéressante à laquelle s’est attaquée Daphné du Maurier, nous fournissant ainsi un document essentiel sur cette figure méconnue, richement illustrée par des poèmes et textes de Branwell lui-même ou de ses sœurs.

Je n’ai pu m’empêcher de faire le parallèle avec le film que je suis allée voir il y a quelque temps, Les Sœurs Brontë, qui date de 1979, avec Isabelle Huppert, Isabelle Adjani et Marie-France Pisier. André Techiné, le réalisateur, nous a offert une très belle illustration de cet ouvrage justement, par l’histoire des Brontë dans laquelle Branwell apparaît régulièrement … Je ne peux que vous le conseiller !

Pour ma part, je serais curieuse maintenant de lire la biographie d’Elizabeth Gaskell, histoire d’aller jusqu’au bout, un auteur que j’avais déjà pu apprécier dans Nord et Sud.

17 commentaires

  1. IL Y A UN FILM ? AHHHHHHHHHHHHHH, je le veux !!!!!

    Je suis ravie, ravie, RAVIE, que ce texte t’ait plu ! Il n’est pas d’un abord facile, mais il est d’une puissance et d’une richesse incroyable !

    Petite précision technique : je m’appelle Lili Galipette, pas juste Lili, sinon on va me confondre avec pleiiiiiin d’autres blogueuses ainsi nommées. Je tiens à ma particule galipettesque ! 😉

    1. J’ai pas dit que c’était une adaptation ! mais que dans ce film, on voyait pas mal Branwell ce qui m’a permis de faire un parallèle …

      Désolée pour le nom, mais du coup comme je mets le lien direct vers ton blog, on ne peut pas te confondre ! mais je change quand même … !

      Belle découverte, merci encore ! 🙂

  2. Je ne crois pas que le film de Téchiné soit une adaptation du livre de Du Maurier, il est possible qu’il s’en soit inspiré, mais ce n’est pas à proprement parlé une adaptation.
    Bon sinon ton billet est très complet, je l’ai lu un peu en biais puisque je suis en train de lire le livre.

    1. Vous me faites douter ! mais en me relisant, je ne dis pas qu’il s’agit d’une adaptation, j’ai dit que j’avais fait le parallèle avec le film que j’étais allée voir … 🙂

      Bonne lecture !

  3. Salut Bouquinaix! Beau billet que tu nous as concocté! Je suis fan des soeurs Brontë d’ailleurs j’organise un challenge en leur honneur!

    Je savais qu’Elizabeth Gaskell avait fait une biographie romancée des soeurs mais je ne savais pas que Daphne Dumaurier s’était aussi attelée à cette tâche difficile.
    Merci pour cette info! J’ai une autre biographie sur mon étégère intitulée La Hurlevent. Cela me donne envie de me replonger dans cet univers! Bonne journée!

  4. je connaissais l’auteur mais pas ce livre
    pour ma part j’aime beaucoup cette collection où l’on est rarement déçu
    et bonne idée oui ces lectures partagées mais il faut être inspiré par le livre

    1. Pas encore lu d’autres de Daphné du Maurier, mais celui-là est un peu particulier !

      c’est une collection de qualité, en effet …

      Certes on a parfois du mal à se mettre d’accord, mais finalement, il s’agit de s’ouvrir l’esprit et de jouer le jeu !

  5. Je n’ai pas lu ce Daphne du maurier. En avez vous lu d’autres? Jusqu’a present, j’en ai lu environ 5, en version originale et je recommanderais fortement « rebecca » sans doute le plus connu mais egalement « the doll and other short stories » qui n’existe pas, je crois, en traduction francaise mais qui sont des petites nouvelles dont certaines m’ont enormement plu. Mais d’apres ce que j’ai compris, ce ne sont pas ses meilleures alors j’ai hate de lire les autres!

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