Il y a quelques années, j’avais été bouleversée par le roman de Sorj Chalandon, Mon Traître, le premier que je lisais de lui. Alors quand j’ai vu que Pierre Alary l’avait adapté en bande-dessinée, je n’ai pu que sauter sur l’occasion ! Car depuis ce premier roman, j’ai soigneusement dévoré tous les autres, au fil de leurs sorties, sans jamais être déçue par cet écrivain multiple qui sait se renouveler.
A son tour, Pierre Alary s’est donc plongé dans le conflit nord-irlandais, s’est mis dans la peau du jeune violoniste français, Antoine, trahi par un ami qui s’avérera un traître à la cause de l’IRA. Mais bien sûr, tout n’est pas si simple dans un conflit d’une telle complexité …
Pierre Alary a parfaitement su rendre l’âme du roman : il alterne les passages entre un Paris paisible et une Irlande du Nord violente et bruyante entre lesquelles le narrateur navigue, peinant à trouver sa place. Là-bas, il y rencontre Jim et Cathy, mais aussi et surtout Tyrone, le traître, que Sorj Chalandon a lui-même connu et qu’il a mis en scène dans son texte faisant « d’un drame intime une douleur universelle. »
Car travers ce roman / cette BD, c’est une histoire complexe qui se dessine, une réalité historique mais aussi celle d’une amitié indestructible au fil des ans, et qui est explosée lorsque la vérité éclate. Comment se reconstruit-on ensuite ? mais aussi, comment vit-on après avoir trahi ?
« Comment fait-on après, lorsqu’on est traître, pour effleurer la peau des autres ? Celle de la femme, de ton fils, de tes camarades, des vieilles dames qui t’applaudissent sous la pluie quand tu honores la République irlandaise … On fait comment pour embrasser la joue d’un trahi ? »
Le dessin est magnifique, sombre et pourtant plein de couleurs qui explosent, le bleu, le jaune, le noir … L’alternance de l’histoire et de l’interrogatoire de Tyrone Meehan renforce le caractère inéluctable du déroulé des événements. En mettant en images la prose de Chalandon, Alary raconte 30 ans de l’histoire de l’Irlande, la guerre des pierres, les grèves de la faim, la prison, les jeunes hommes morts pour rendre leur pays libre, mais il raconte aussi la musique, la pluie sous laquelle on danse, la soif de vivre, inextinguible. Il raconte un pays sublime, mais meurtri, dans lequel les hommes sont forcés de faire des choix, jusqu’à la trahison parfois.
Alors voilà, à vous de juger à présent, à vous de découvrir ce texte, à travers le roman original ou par son adaptation magnifiquement réussie. Dans tous les cas « voilà Tyrone, voilà Antoine, voilà les rues sombres, la brique, l’injustice, les trognes magnifiques, la pluie, la nuit des opprimés. Voilà l’Irlande et sa terrible beauté. Rien ne manque à l’injustice et à la colère. Rien ne manque à la sidération du trahi. »
Il me le faut alors. J’ai beaucoup aimé Mon traitre et le roman d’après (dont j’ai honteusement oublié le nom, mais qui donne la parole au traitre) alors si en plus l’adaptation est réussie… ya plus qu’à!