Pour ce rendez-vous mensuel d’avril, je vais vous parler de trois auteurs très différents. Leur seule similitude c’est que ce sont des hommes … Deux d’entre eux sont du XXe, l’un du XIXe. L’un est britannique, les deux autres sont français. Et surtout leurs trois romans sont extrêmement différents : Paris dans les années 1850, le monde universitaire dans les années 1960 et les problèmes d’un homme à la fin de sa vie … : Le bachelier de Jules Vallès ; Un tout petit monde de David Lodge ; Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable de Romain Gary. Trois romans qui m’ont plu ou déçu, mais dans les trois cas, je n’ai eu le courage de leur consacrer un billet complet.
Deuxième volet de la trilogie de Jules Vallès, le moins connu, Le Bachelier traite des années vécues par le héros Jacques Vingtras après l’obtention de son bachot, qu’il passa à Paris. « Je suis LIBRE ! LIBRE ! LIBRE ! » .
C’est à cette période que Vingtras connaît plusieurs désillusions : celle des études (il renonce à faire son droit), celle du travail (il ne peut gagner sa vie avec seulement son diplôme, étant toujours trop peu ou trop diplômé), celle de l’amour (aucun durable), celle de l’indépendance (il dépend toujours de ses parents), enfin celle de la révolte (avortée, il était pourtant le plus enthousiaste des jeunes révolutionnaires).
C’est donc un roman de l’entre-deux, entre enfance et âge adulte, où le héros, qui n’est ni le plus fort, le plus beau, le plus honnête, le plus intelligent des hommes, cherche à survivre dans la jungle parisienne des années 1850, après le coup d’État de Napoléon III. J’y ai retrouvé avec plaisir – après un temps de réadaptation – le style très heurté, très passionné de Jules Vallès qui – à grande force de points d’exclamations et de retours à la ligne – exprime la jeunesse et la naïveté de son jeune héros qui fait ses premiers pas dans le monde … « Nous avons dix-huit ans, nous sommes un siècle à nous cinq ; nous voulons sauver le monde, mourir pour la patrie. »
Avec un humour très présent, Vallès nous transporte dans ce XIXe siècle, au cœur du Quartier Latin où traînent les éternels étudiants, et nous rend très présentes les difficultés de la vie à cette époque, pour une certaine classe sociale, celle des bourgeois éduqués, mais sans le sou. « Tu nous le paieras, société bête ! » Il prendra sa revanche avec L‘Insurgé …
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Roman après roman, David Lodge devient un classique des lettres anglaises, qu’il marque par son humour noir, et ses textes originaux. Un tout petit monde est un de ses plus connus, et le plus réussi. Il y dénonce d’une manière extrêmement fine les dérives du monde universitaire, en montrant ses « habitants » passant de congrès en congrès, plus ou moins miteux, plus ou moins courus, plus ou moins intéressants. Si le début est un peu désarçonnant puisqu’on suit plusieurs personnages en parallèle, petit à petit Lodge nous met à l’aise en nous faisant voir les liens plus ou moins extravagants et tortueux qui existent entre eux.
L’ère du campus global était déjà arrivée en 1984, date d’écriture du roman, et ce que j’en sais aujourd’hui montre que cela n’est pas tellement différent aujourd’hui. Les universitaires courent de congrès en congrès qu’ils sont les seuls à comprendre, et se détachent de plus en plus du monde réel, ce qui rend leurs études et leurs déplacements totalement obscurs pour le grand public. « [Après plusieurs années], il était possible d’arriver au grade de professeur et de ne rien avoir à faire d’autre qu’être absent en permanence grâce à un congé sabbatique ou à une bourse quelconque. »
Difficile de vous en dire vraiment plus sur ce roman atypique. Une seule chose de sûre : je ne verrai plus jamais les universitaires comme avant … Si vous voulez rire intelligemment, n’hésitez plus !
« Freud définissait la société primitive comme une tribu où les fils tuent le père lorsqu’il vieillit et devient impuissant, et lui prennent aussi ses femmes. Eh bien, dans la société académique moderne, ils vous prennent vos bourses de recherche. Et vos femmes aussi, bien sûr. »
Lettre L !
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Conquise par Romain Gary avec La Vie devant Soi, L’Angoisse du Roi Salomon, Clair de Femme et Gros-Câlin, il fallait bien que ça arrive : le temps d’un roman, 250 pages, j’ai rompu avec Romain.
Jacques Rainier, 59 ans, industriel, est aux prises avec des difficultés dans ses affaires au moment même où sa liaison avec Laura, une jeune Brésilienne, lui fait vivre ses jours les plus heureux. Un matin, à Venise, les confidences cyniques et angoissées d’un homme de son âge obsédé par le mythe de la virilité et le déclin sexuel éveillent le soupçon en lui-même, sur lui-même. La peur de l’impuissance, d’abord insidieuse, ensuite envahissante, destructrice, ne le quitte plus.
Rien à redire il est vrai sur l’écriture elle-même : Gary aborde cette question clé – tabou en 1975 – avec l’humour caustique qui est le sien, et une sensibilité exacerbée. Extrait : « Depuis que l’homme rêve, il y a déjà eu tant d’appels au secours, tant de bouteilles jetées à la mer, qu’il est étonnant de voir encore la mer, on ne devrait plus voir que les bouteilles. »
Malheureusement, même si ma capacité d’identification avec les personnages est forte, ici il m’a été impossible de comprendre, compatir et ressentir avec Jacques Rainier, beaucoup trop préoccupé par son dessous de ceinture, et la perte de sa masculinité. La seule chose que j’ai pu tirer de ce texte, c’est finalement l’angoisse qui y transpire : celle de la perte de virilité, qui va avec la vieillesse et la peur de la mort, ces trois peurs qui étaient si profondément ancrées en Gary qu’il préféra se donner la mort cinq ans après l’écriture de ce roman, à l’âge de 66 ans, avant de les connaître.
Ce qui m’a finalement étonné, c’est qu’en parallèle, il se transforme en Émile Ajar, plein de vitalité, de verve et d’humour, qui produit La Vie devant Soi, un de ses chef d’oeuvre. Étrange Gary, que je ne parviens pas à cerner. Bizarre Romain, que je vais continuer à découvrir pas à pas, malgré cette déception …
Un objet !
Même quand tu ne chroniques pas tu chroniques bien ^^ Je retiens le Lodge.
Merci ! Il est spécial, mais original !
bonjour 😉
Je note aussi le Lodge (j’avais bien aimé son humour dans « la chute du british museum » )
J’ai beaucoup aimé ce Gary là (Gros câlin restant mon préféré »)
Bonne journée 😉
Je continuerai Lodge c’est sûr … et pour Gary, eh bien on ne peut pas tout aimer ! Mais j’avais beaucoup apprécié Gros Cälin aussi ! On y retrouve la sensibilité de Gary et sa maîtrise des mots pour dire la solitude …
J’adorais essayer un Lodge ! cet auteur a l’air d’être très bon =)
J’ai le Lodge dans mes étagères, conseillé à une époque par une libraire… J’hésitais, je vais peut-être le ressortir du coup !
De Lodge, j’aime surtout Pensées secrètes et La vie en sourdine. Celui présenté ici me tente beaucoup!