Tout commence par un procès … Le procès de Gladys, accusée de meurtre, au cours duquel nous voyons s’animer cette femme étrange et fascinante. Au-delà des faits, la procédure judiciaire tente de démêler les sentiments de Gladys, sa personnalité. Ses réactions sont épiées par tous, mais soulèvent encore plus de mystères et de tensions autour de la question cruciale : pourquoi a t-elle tué celui qui devait être son amant ? le suspens reste entier jusqu’à la fin du roman, qui reprend l’histoire de Gladys depuis le début : son éducation, ses mariages, ses amours. Et surtout l’importance qu’elle accorde à son âge. Or nous sommes loin de nous douter, au début du texte, que c’est cet âge qui sera un élément clé de sa vie, si ce n’est le plus important …
« Tu as cinquante ans… Toi, Gladys, qui hier encore… Tu as cinquante ans, cinquante ans, et jamais tu ne retrouveras ta jeunesse… »
Le tour de force est que la scène du procès ne peut être vraiment comprise qu’après avoir lu le roman. Lorsqu’on arrive à la dernière page, on revient en arrière et on relit les premières. Et tout s’éclaire.
A partir de cette scène et en quelques deux cent pages, Némirovski fait vivre cette figure passionnante, sans en faire le jugement : elle expose des faits et décrit un caractère..
Jézabel, c’est le nom que lui donnera la victime de son crime. Dans la Bible, c’est la séductrice, la femme d’Achab, roi d’Israël, et l’exemple même de l’influence – mauvaise – d’une femme sur son mari. Cruelle et méchante, elle ne recule devant rien, et la séduction est son arme la plus terrible. La Jézabel de Némirovski n’a cependant pas un caractère aussi tranché, même si elle nous semble de moins en moins sympathique au fur et à mesure où se déroule son histoire …
Gladys est l’image même d’une femme terriblement seule, qui perd sa beauté, année après année, et qui a une peur terrible de ne plus plaire aux hommes, avec pour corollaire d’être oubliée. Or le roman s’ouvre sur la fin du procès, elle est condamnée, et il est précisé : elle est aussitôt oubliée par le public. C’est sa punition alors que ce fut sa crainte majeure durant toute sa vie.
Mélancolique, rusée, consciente de son pouvoir de femme, sa vie entière sera consacrée à « se prouver à elle-même son empire sur les hommes. » Et « danser, boire, danser encore. » Pour rester jeune, pour sauver les apparences, elle va se perdre.
« Ce désir de plaire, d’être aimée, cette jouissance banale, commune à toutes les femmes, cela devenait pour elle une passion, semblable à celle du pouvoir ou de l’or dans un cœur d’homme, une soif que les années augmentaient et que rien, jamais, n’avait pu étancher complètement. »
Par une écriture affirmée, fine, psychologique, Irène Némirovski nous offre un splendide roman, tout en sentiment. Un roman que j’aurais tendance à rapprocher de Belle de Jour de Kessel, lu plus tôt dans l’année pour le Club des Lectrices : même figure de femme très forte, passionnée, et contradictoire. Une femme que l’on voit évoluer mais qu’on ne peut comprendre.
Un roman qui m’a beaucoup touché, dans un style complètement différent du précédent roman que j’ai lu de l’auteur, Suite Française … En bref, je vais continuer l’exploration de son œuvre …
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Lettre N !
Hum… je ne trouve pas que Belle de Jour soit une femme forte…
C’est bizarre ce rapprochement avec ce roman, George fait le même. Il faudra m’expliquer… 😉
Tiens c’est marrant ce parallèle avec Belle de jour je l’ai fait aussi pour le côté un brin démodé je trouve, et bien sûr pour l’allusion aux maisons de passe !
Je suis beaucoup moins enthousiaste que toi, mais je reconnais l’analyse psychologique très fine d’une personnage très peu sympathique.
oui, une auteure importante, je ne connaissais pas ce livre d’elle, à découvrir donc